Descartes et le problème du dualisme

René Descartes en arrive au point de découvrir et d’établir son existence par la pensée, et nous laisse avec le problème du dualisme…

René Descartes (1596 – 1650), considéré comme le fondateur de la philosophie moderne, a découvert et a établi son existence par la pensée, et nous a ensuite laissé l'énigme du dualisme à résoudre, avec laquelle les philosophes se débattent depuis, jusqu'à nos jours, suite aux découvertes neuroscientifiques relativement récentes sur le cerveau.

La quête intérieure que René Descartes s'est attelé était de supprimer tout ce qu'il savait, toutes les connaissances qu'il avait accumulées, et dont il pouvait se démontrer, qui pouvaient être mis en doute - par exemple, il pouvait « savoir » quelque chose qui était une croyance héritée invérifiable, ou quelque chose qu'on aurait pu lui faire croire mais qui était fausse – et voir s'il restait quelque chose dont il pouvait être certain

Le point d'Archimède 

Descartes creusait de la manière la plus profonde et la plus individuelle dans sa conscience le fondement d'une connaissance qui ne dépendait pas d'une connaissance particulière, déjà acquise sans savoir comment. Il compara cette recherche aux travaux d'Archimède sur la découverte du levier. Archimède était un mathématicien de la Grèce antique qui comprenait que s'il se fixait un endroit où se tenir et un levier, il pourrait, selon le principe de l'effet de levier, soulever le poids du monde entier. Descartes a compris : 

«Si je me trouve comme un endroit où « me tenir debut », j’ai une base solide et un point de départ pour tirer à partir de là, une connaissance du monde – “Je peux savoir.”

Lorsque Descartes était au commencement de sa quête, il pensait déjà, et donc il existait déjà, comme il le découvrira plus tard. Cependant, après son processus de réflexion et de méditation, il a découvert, il s'est revellé le fait qu'il existait, et il savait qu'il existait directement, avec une certitude absolue - c'était son expérience directe, et il a établi sa propre existence autonome. C’est comme la différence entre entendre parler de quelqu’un et rencontrer quelqu'un.  Il a fait de son existence une réalité evidente dans le monde de la conscience pensante humaine, au-delà de tout doute, contre toute épreuve de doute, car même si un esprit méchant, un filou, le trompait en lui faisant croire qu'il pensait, alors Descartes ne pouvait nier qu'il devait lui-même exister pour ensuite être trompé, et qu'en tant que personne trompée pour qu'elle pensait, elle penserait qu'elle pensait, et donc elle pense.

Lorsque Descartes toucha à la certitude de son existence en tant qu'être pensant, le problème du dualisme en lui devint visible ; il a découvert, sans aucun doute, qu’il existait en tant qu’être pensant, face à un « monde » de choses observables. Une sorte de scission s’est produite, deux « choses » sont devenues visibles, deux choses ont été pensées pour exister, son « Je suis un être pensant » et le « monde » de tout ce qui l’entourait et au-delà de son « Je suis un être pensant ». Descartes a découvert que cette distinction avait lieu dans l'essence et la réalité de sa nature corps-esprit en tant qu'être humain, au sein de sa conscience corps-esprit et de sa manière d'être. Il est ainsi devenu un « dualiste ». Puis il a réalisé que son « corps » faisait partie du «monde extérieur » de la matière, des choses observables, alors que son être pensant intérieur ne l’était pas. C'était un être du monde et du non-monde. Il a observé que l’esprit humain était totalement différent du corps humain, les deux choses étaient tout à fait distinctes. Tel qu'il l'a formulé, l'esprit est une chose pensante et non étendue et le corps une chose étendue non pensante, ils ne se chevauchaient pas, de sorte qu'il était tout à fait possible que chaque concept existe indépendamment de l'autre. Il a identifié une grande polarité de deux choses semblantes êtres incompatibles,  au cœur et à l’essence de son propre être humain. Si l’esprit est séparé et ne chevauche pas le corps, comment notre esprit « spirituel » non matériel pourrait-il faire bouger notre corps, et également, comment quelque chose du corps matériel peut-il se connecter avec entrer dans le domaine spirituel de notre esprit ? Il a créé un puzzle, le problème corps-esprit, que les futurs penseurs de l’humanité devront résoudre. Il est important de se rappeler que ce puzzle se situe au sein de notre conscience, qu'il s'agit de « notre » dualité de « je-penseur face au monde », de notre incarnation corps-esprit, de notre double expérience – et non d'un problème à résoudre là-bas dans le monde du «non-moi».

Carl Jung et le Soi

Illustration du 'Red Book' de Karl Jung
Illustration par Carl Jung dans son
'Livre Rouge' 

Carl Jung a décrit la rencontre de notre « moi » terrestre quotidien avec un « Soi » plus grand et véritable, comme un « mystère numineux » inspirant une crainte spirituelle, et un « mysterium tremendum » un « terrible mystère ». Il a écrit : « L’expérience du Soi est toujours une défaite pour l’ego », une défaite pour notre ego terrestre et notre sens de l’individualité. Le Jungien Edward F. Edinger écrit à propos de quelque chose qui peut être vécu, au moins par ceux qui sont prêts à essayer, comme un « centre » de notre être :

  « La découverte de ce centre, que Jung appelle le Soi, s'apparente à la découverte d'une intelligence extra-terrestre. Chacun de nous n'est plus seul dans le psychisme et dans le cosmos…au début, la rencontre avec Soi est bien une défaite pour l'ego mais avec de la persévérance, Deo volente (Dieu le voulant), une lumière naît des ténèbres.  

Descartes a touché une base solide…et à la fois un dualisme

Nous ne savons pas si Descartes a eu une expérience « numineuse » de rencontre avec son Soi, mais il a touché une base solide, et nous pouvons répéter son expérience de pensée dans notre propre laboratoire de pensée. Si nous étudions la Philosophie de la Liberté de Rudolf Steiner, chapitre 3, nous pouvons trouver et parcourir les tremplins de certitude qui émergent du doute et qui nous conduisent vers la fondation de nous-mêmes en tant qu’êtres pensants. Descartes a établi le fait de son soi existant, et une fois qu’il a établi son existence en tant que soi, il y avait un problème à résoudre sur la nature de ce moi terrestre, un problème de dualité. Il y avait désormais deux choses : le monde et « moi ». En tant que moi terrestre, j'opère dans un corps physique, interagissant avec ce que nous appelons un monde physique, mais dans mon moi pensant, mon aspect mental (parfois appelé « spirituel »), cette activité et ses fruits n'apparaissent pas de l'extérieur de moi, du « monde » tel que je l’observe, ce n’est pas quelque chose qui ne peut être trouvé ou ressenti dans le monde matériel. D’une certaine manière, penser m’oblige à « le faire » activement. Le monde m’apparaît comme « donné », je ne le crée pas, je ne fais pas apparaître des objets ou des événements, mais je pense au monde en l’observant. Comment ces deux parties de nous-mêmes vivent-elles ensemble ? Comment notre experience de la pensée consciente, qui est non-matérielle, peut-elle communiquer avec ou influencer de quelque manière que ce soit une matière insensible qui, comme nous le savons, ne peut être affectée ou déplacée que par quelque chose de matériel, selon les lois matérielles ? Vu du côté matériel, comment quelque chose de « spirituel » peut-il être trouvé « dans » la matière Comment cela peut-il, d'une manière ou d'une autre, influencer la matière ici-bas dans le monde matériel ? Comment la matiere peut-être en communication avec le spiritual, ou être physiquement pertinent d'une manière ou d'une autre ? Son existence a-t-elle jamais été expérimentée ou vérifiée scientifiquement dans le monde matériel ?

Le problème de dualisme

Cette question est désormais appelée « le problème du dualisme ». C’est essentiellement ce problème relationnel au cœur de notre nature humaine, ce «dualisme» que nous a signalé Descartes, cette exaspérante polarité incompatible, qui agace depuis lors les penseurs humains. Le chapitre 1 s’ouvre sur une question que chacun de nous peut se poser, qui ressemble à ceci :

L’être humain est-il spirituellement libre de pensée et d’action ?

…ou contraint par la nécessité d’une loi purement naturelle ?

Puis-je prendre ma propre décision et agir en conséquence, en tant qu'agent spirituellement libre, ou l'aspect physique de ma nature signifie-t-il que les lois physiques naturelles qui gouvernent le monde me gouvernent également ? Si nous y réfléchissons attentivement, nous verrons qu’il s’agit d’un dualisme, d’une polarité incompatible, que nous sommes invités à étudier en profondeur, à travailler et à résoudre par nous-mêmes, sous la direction de la Philosophie de la Liberté de Steiner.

Le rejet moderne du dualisme

Aujourd’hui, la plupart des penseurs et des scientifiques modernes sont unis pour rejeter le dualisme comme point de vue valable ou significatif pour nous  expliquer nous-mêmes ou ce qui existe « là-bas », en raison du « problème » insoluble du dualisme. Les neuroscientifiques de tous bords, du fait de leurs études sur le cerveau et du rejet du dualisme, sont de plus en plus attirés par cette position sur la conscience humaine : qu’il s’agit « en réalité » d’un phénomène émergent du cerveau, même si nous n’avons pas encore compris comment. C’est le nouveau point de départ pour eux, posant et espérant répondre à 'la question difficile', de savoir comment le cerveau produit la conscience.  L'experience interieure de notre conscience est une chose different que le cerveau physique, ses neurones des images du cerveau, et donc le probleme de dualisme est deplacé autour de la 'question difficile' (hard problem) de la conscience humaine, dans l’espoir qu’un jour elle sera résolue à la lumière de nouvelles preuves de la science classique, et d’une nouvelle compréhension .

De dualisme à monisme 

La plupart des scientifiques et penseurs modernes, en particulier ceux qui s'intéressent à la conscience humaine, optent plutôt pour un monisme d'une sorte ou d'une autre (parfois appelé « non-dualisme ») : la croyance qu'il n'y a qu'une seule « chose », que l'esprit et le corps, par exemple, sont une seule et même chose, qu'ils peuvent être expliqués par un seul type de « trucs ». Dans un autre article, j'aborderais de près les pensées des deux personnes qui promeuvent une vision moniste, une moniste materialiste, l'autre moniste spiritualiste.