Le drame de la connaissance
« All the world’s a stage,
And all the men and women merely players;
They have their exits and their entrances,
And one man in his time plays many parts,
His acts being seven ages. »[1]
« Le monde entier est une scène, hommes et femmes, tous, n'y sont que des acteurs, chacun fait ses entrées, chacun fait ses sorties, et notre vie durant, nous jouons plusieurs rôles."
Aujourd’hui, l’humanité vit un drame les yeux fermés : le drame de la connaissance et de la liberté. Âme humaine, réveille-toi ! Émerge de l’engourdissement qui fait de toi un pantin, saisis les rênes de ton destin en cherchant et créant une vision du monde qui t’assure une fondation pour ton agir et deviens acteur sur la scène de l’Humanité qui se libère du joug des lois d’airain de la nécessité, de la guerre, de la solitude, de la misère et sa sœur la terreur. Invite en toi la lumière bienfaisante d’une conscience pensante claire et dissipe le « doute qui paralyse ». Tel est l’appel qui nous est lancé par l’auteur de La Philosophie de la Liberté. Cet appel à la prise de conscience du drame qui se joue en nous, par et à travers nous, il nous faut le conserver en notre cœur lorsque nous philosophons afin de ne pas tomber de soif dans le désert aride des abstractions conceptuelles.
Un drame ( drama (g.) = action) c’est une histoire pleine d’événements et de rebondissements qui invite les oppositions et leur harmonie. Nous voulons nous insérer au sein du drame de l’histoire occidentale de la conscience humaine. Pour l’âme humaine que nous suivons dans ses péripéties qui sont aussi les nôtres, ce drame débute par une longue séparation progressive du giron protecteur et bienfaiteur de la mythologie et des temples grecs jusqu’à l’isolement cruel de l’empire romain qui nous fait devenir citoyens de la terre, possesseurs et responsables de nos actes, enchainés aux lois de la nature et celles des tyrans qui gouvernent l’empire.
A ce moment crucial, l’événement du Golgotha intervient, incorporant une puissante impulsion qui jaillit de Jérusalem, au milieu de la terre, tissant la trame d’une nouvelle union de l’âme humaine avec le monde et elle-même, et donnant naissance à la pensée et philosophie chrétienne. L’âme humaine développe alors une nouvelle vision du monde reposant sur la science et la foi. A cette étape, la connaissance repose sur l’effort de la pensée d’un côté et l’élan du cœur s’ouvrant à la révélation de l’autre. Les églises et cathédrales germent et s’étirent vers le ciel dans tous les villages et villes d’Occident, lieux où les âmes humaines peuvent retrouver le lien avec leur Créateur grâce à l’effort de l’écoute (des Écritures) et la prière.
Puis aux alentours du XVe siècle, les âmes humaines se libèrent progressivement de la guidance des prêtres et des sages qui seuls ont droit et pouvoir à accéder à la révélation divine. Les êtres humains partent explorer la terre (découverte des Amériques, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande …) et les lois de la natures (découverte de la lunette astronomique et du microscope, …).
Cette longue libération de l’assujettissement à un clergé au rôle de berger (trop souvent perverti par l’égoïsme personnel) trouve son aboutissement avec l’émancipation de la pensée de toute contrainte extérieure, lorsqu’au début du XVIIe siècle, le cogito de Renatus Cartesius retentit dans l’obscurité des guerres de religion et de succession.
L’âme humaine sait enfin, avec certitude, qu’elle peut trouver en elle-même, en sa propre pensée la bergère qui lui assure un chemin sûr vers le monde et elle-même. Le chemin du retour peut commencer.
Comme l’a exposé Catherine dans son article Descartes et le problème du dualisme, avec le cogito de Descartes, une fondation solide pour une vision du monde est trouvée. Encore faut-il être extrêmement méthodique à partir du cogito :
« Le sentiment d’avoir trouvé un point fixe (…) incita le fondateur de la philosophie moderne, Renatus Cartesius, à fonder la totalité du savoir humain sur cette proposition : je pense, donc je suis (cogito ergo sum). Toutes les autres choses, tout autre événement est là sans moi : vérité ou fantasmagorie ou rêve, je ne le sais pas. Il n’y a qu’une chose que je sache avec certitude absolue : mon penser, car je l’amène moi-même à son existence. (…)
[‘donc je suis’] ne peut avoir un sens qu’à une seule condition. Ce que je peux dire de plus simple d’une chose, c’est qu’elle est, qu’elle existe.»[2]
Mais quelle est la différence entre être et exister ?
Être ou exister, telle est la question !
[1] Shakespeare, As You Like It, Acte 2, Scène 7, monologue de Jaques
[2] Philosophie de la Liberté, chapitre III, Rudolf Steiner